21 janvier — Vous m'avez suivie sous l'orage

Photo : "citadelle" de Tripoli la semaine dernière


En ce moment c'est Ashoura : on fête la mort de Hussein, fils du khalife Ali — celui dont les chi'ites auraient voulu qu'il soit le premier khalife et pas le quatrième. Il a plu avant-hier et hier. On entend les haut-parleurs de la mosquée depuis trois heures : le ton explicatif a fait place à des lamentations. J'écoute du jazz (John McLaughlin, Zakir Hussein, T.H."Vikku" Vinayakram, Hariprasad Chaurasia : Remember Shakti).


On a appris que notre déménagement des Philipines n'est toujours pas arrivé en France : elles sont coincées au Havre, les caisses où nous avions mentionné "Lebanon" au marqueur noir, pour ne pas les confondre avec celles qui partaient pour la France, mais qu'il a fallu finalement rerouter vers la France. Nous voilà donc sans "nos affaires" depuis presque 7 mois, et encore des étrangers. J'ai retrouvé cette ébauche de texte écrite aux Philippines, auxquelles nous pensons beaucoup depuis notre retour ici :

Il lui fallait s’adresser à quelqu’un qui pût comprendre parce qu’il aurait lui même connu, senti, touché, goûté, usé son corps dans la poisseur et la pluie d’orage,
Reconnu l’odeur
L’intrusion de l’étrangère jusque dans la poisseur de l’air
Les guerrières très suspectes de Saint-John Perse
L’odeur de mort du poisson séché jeté dans l’huile au lever du jour, dans un bruit de casseroles et de rires
Les cris du vendeur de taho qu’on manque de peu parce qu’il passe à vélo, mais que l’intermittence de son cri ne permet pas de localiser suffisamment tôt pour être à la porte au bon moment — et le héler, ça se fairait si on était d’ici, mais on n’en n’est pas, on est d’ailleurs, on est celui dont la présence ici est étrange, avec des motifs probablements supérieurs, et qu'on regarde comme s’il devait avoir quelque chose à révéler sur sa présence : "do you like the Philippines ?" On y fait, cela va de soi, du business, on est venu profiter de ceux qui n’ont plus rien d’autre à vendre qu’eux-mêmes, et qui en rient,
de cette poisseur jusqu’aux rues bondées de Pasay, où le poisson grillé — qu’une fille en jupe rouge trop courte pour son âge avale à la cuiller avec son riz — se vend à la porte du bordel, à deux mètres du bouchon

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