1er mars — Pâquerettes, lune et munitions
L'avancée du printemps se mesure à la quantité de pâquerettes et d'anémones sauvages. Tout à l'heure, en sortant de l'école, nous sommes allés boire un jus frais (pomme et guava – goyave ?) à Gentina, un restaurant de Nabatieh. Dans la lumière de 15h, celle qui a l'air de revenir après l'hiver (presque celle de l'arrivée, douce et inquiétante) ; sur la route on se demandait si le blanc des montagnes était dû aux pâquerettes ou aux roches, rendues visibles par contraste avec le vert après les pluies.
Dans les collines, on a est revenus chercher les fourmis de la dernière fois : celles à qui on avait donné des miettes de petites galettes rondes et anisées, achetées chez "le monsieur gentil" – un homme souriant qui tient un four, dans un virage de côte escarpée, au centre de Habbouche. Cette fois-ci on a trois morceaux de gâteau marbré d'Al Baba de Saïda, des petits morceaux symboliques enveloppés dans de l'aluminium. Les fourmis ont déménagé, ou bien on a trouvé une autre fourmilière. Du ras (raz) des pâquerettes, on voit la lune et la montagne en même temps.
Ça fait des semaines que sous ce ciel-là monte la tension, et qu'on se fatigue – mais de quoi ? Depuis une semaine des nouvelles qui n'en sont pas : on aurait trouvé des armes ici, là, des détonateurs, on ne sait plus qui manigance quoi... Dans une attente sourde, palpable en classe (une pression dont le sens s'échappe, pour être crédible qu'est-ce qu'il faudrait ?) on voit varier les affichettes de prévention contre les sous-munitions (dont certaines ressemblent à des petites gourdes, d'autres à des cristaux, d'autres à de jolis cailloux blancs ou jaunes... Lesquelles sont "made in France" ?)... Partout il est question de départs ; on ne demande pas : "vous partez ?" mais "vous ne restez pas ?"
Ce paysage de pâquerettes dans la brise encore fraîche, qu'on traverse après les cours (avec le mal de tête et une vague inquiétude de prendre un peu de plomb de chasse – ça nous est arrivé une fois de les entendre tomber autour, comme de grosses gouttes d'eau), on a du mal à s'empêcher de penser qu'il ne sera pas empli du pire :
LE FILS. Tous les jours on entend des appels à l'aide dans cette partie de la ville.
Personne n'y répond.
Souvent la personne qui crie n'est qu'un appât
Même si ça n'est pas le cas les gens disent que ceux qui vont dans un endroit aussi redoutable n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes
Ils ne peuvent pas venir dans un but légitime parce qu'ici rien n'est légal
Le centre de la ville est placé en dehors de la communauté humaine et donc aucune aide ne peut être accordée
Il repose sous le ciel comme un cercueil brisé
LE FILS. Tous les jours on entend des appels à l'aide dans cette partie de la ville.
Personne n'y répond.
Souvent la personne qui crie n'est qu'un appât
Même si ça n'est pas le cas les gens disent que ceux qui vont dans un endroit aussi redoutable n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes
Ils ne peuvent pas venir dans un but légitime parce qu'ici rien n'est légal
Le centre de la ville est placé en dehors de la communauté humaine et donc aucune aide ne peut être accordée
Il repose sous le ciel comme un cercueil brisé
Je suis l'armée
Mes pieds sont sur la terre
Ma main touche la lune
Ma tête se perd dans l'espace
Ne gémis pas ta peur devant moi
Ne plaide pas pour le genre humain
Ne me montre pas la terreur des enfants
Je suis l'armée
Je chie sur la terre depuis la stratosphère
Et me torche le cul avec la liste des morts
Inclinez-vous et adorez-moi
Inclinez-vous et adorez-moi
(Edward Bond, Les pièces de guerre, Rouge noir et ignorant)
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