12 juin — Un cadavre sur la page

Angoisse de la correction de copies : alors qu'au bout d'une année où on se dit qu'on a essayé de faire passer un peu de l'envie de lire, et sans qu'on l'ait jamais demandé, certains continuent de numéroter les lignes dans leur rédaction. Tout ce que cette numérotation implique me fait froid dans le dos, et pourtant c'est pour moi, qui dans la tête de l'élève en question représente cette exigence-là, qu'on le fait, avec le souci de bien faire.


Qu'on ait pu finir par s'en convaincre, et par les en convaincre : pas seulement les numérotations de ligne, mais aussi les chapeaux qui précèdent ce qu'on a écrit (comme dans le manuel...) : qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce que j'ai réellement transmis ?
Quant à ce que m'inspirent les "épreuves anticipées de français", je préfère me cacher derrière Novarina :
Un morceau de littérature nous est offert comme le bœuf en effigie chez le boucher : gîte à la noix, macreuse, tendron, contre-filet, second talon, bavette, flanchet, échine et jambonneau. Ce découpage coupe l’appétit. Le fragment de texte est un cadavre sur la page. Ouvrez et décortiquez ! En avant les scalpels ! Singez la science, sortez les outils : adjuvant séquentiel, dislocuteur-sujet, pinces carnatives, morphème vectorisant, charmeur sensoriel, brumisateur spatio-temporel, moteur de temporalisation, pince métamorphique, écarteur de doute, transvaseur, phonorisateur de e muet, vecteur de métachronie, linguême désagisseur vocalisant , excitant du circuit œil-corde vocale dans la lecture subvocalisée, mobilisateur oculaire de l’appelant, agent chronotrope, Devant le cadavre — la page arrachée au livre, épinglée, lettre-morte, devenue un objet étal et fléché, livré aux exercices des Sciences de la Communication, — le professeur se fait médecin légiste.

Commentaires

Stéphane P. R. a dit…
C'est marrant, moi quand j'etais petit, j'avais dit un jour à mon prof de francais qui nous decortiquait les plus beaux poemes en morceaux: "Madame, ce que vous faites, c'est de la vivisection. Quand vous avez fini, le poême est mort..." Elle n'avait pas trop apprecié

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