12 février — Un tour à Tyr

L'électricité revient depuis hier aux 2 fois 4h par jour habituelles : j'ai entendu dire qu'il y avait eu une livraision de pétrole. Et il fait beau.


Pour aller de Habbouche à Tyr par la route qui longe la mer, on passe deux check-points de l'armée libanaise. Au premier je n'ai pas bien compris le geste du soldat et me suis arrêté au lieu de simplement ralentir, comme tout le monde (au second le pli était pris) : c'est l'appréhension sans doute d'aller dans la zone "formellement déconseillée", coloriée en rouge sur la carte des Conseils au voyageurs du ministère des Affaires Etrangères. Mais sur la même carte, à Nabatieh, on y est déjà tous les jours, dans ce rouge dont on se demande ce qu'il veut dire pour ceux qui y vivent. Ce n'est qu'au retour qu'on je me dirai qu'au fait, on est forcément passés au dessus du Litani, et que je ne me souviens pas l'avoir vu ; je ne me souviens que d'un pont réparé, reconnaissable à l'asphalte neuf, sans avoir même pensé à l'eau, et c'était un petit pont qui n'a sans doute rien à voir. Véro, elle, se souvient d'une rivière boueuse qu'elle pense pouvoir être ça : cette limite symbolique fait peur sur la carte et connote ce qu'on disait de la guerre (vue de loin, dans des bureaux climatisés de rédactions), et qu'on oublie en longeant les bananeraies.


Sur la route, on est occupé à viser pour que les nids de poule passent au centre de l'essieu, tout en calculant les courbes pour ne pas se faire arracher l'aile gauche par ceux qui doublent de trop près (le fait de doubler semble donner trois droits : celui d'obliger le conducteur en sens inverse à se rabattre, celui de frôler le doublé en klaxonnant, et celui de ne lui en laisser plus aucun — sinon écraser des piétons en se rabattant sur le bas-côté, entrer en collision avec le véhicule arrêté sur la voie qui nous faisait ralentir, ou s'arrêter). Sur toutes les routes qu'on emprunte depuis le 23 janvier, les barages de pneus enflammés ont gravé des traces noires dans l'asphalte. À l'approche de Tyr on voit de plus en plus de véhicules blancs de la FINUL ou du HCR, de la Croix Rouge : c'est une base.


Lorsqu'on gare la voiture près du port indiqué sur le guide, là où on a décidé d'aller en premier, on est en face d'un café. L'alcool se vend moins discrètement qu'à Nabatieh, et moins cher... On se dit que vu le nombre de "U.N." dans le coin, les stocks de Heinekein doivent trouver de plus en plus de preneurs.


Dans le port et les ruelles alentour s'affichent des symboles chrétiens. Plus loin dans une ruelle du quartier, une porte exhibe le visage de Samir Geagea (si je ne me trompe pas). À quelques centaires de mètres de là, on exhibe ceux de Nasrallah, d'Aoun et de Berri.


Deux vieux hommes, dans le café-entrepôt, se sont installés dos à la salle, attentifs à regarder la rue en silence. Le café est rempli de vieux objets : un percolateur, des flippeurs "Gottlieb", où les chiffres défilent en rouleaux, et auxquels plusieurs personnes peuvent jouer ensemble, parce que "it's more fun to compete". Dans un coin, un réduit dont la porte ne ferme plus, et où l'eau coule en continu dans l'urinoir... pour Véro il faudra attendre. Le bus scolaire que les deux vieux regardent passer est sans doute une donation du Japon. À Habbouche, c'est le camion poubelle qui porte des fleurs roses de sakura.
La pêche est artisanale, les bateaux sont fabriqués, à quelques mètres du port, sur le même modèle.

On découpe le poisson à mesure qu'on le vend.


Le jet ski se recycle bien. Le pilote avait emporté avec lui une bouteille Sunsilk pour shampouiner son chien, qu'il promènerait plus tard sur son scooter de terre.


Les bâtiments en réfection côtoient les fouilles archéologiques.


Tyr est une presqu'île. Le petit port était au nord, on finira la promenade sur le front de mer au sud, où se côtoient les restaurants et l'hôtel loué par la Croix rouge... Côme peut jouer sur un bout de plage de sable gris. Dans le fond, d'autres colonnes romaines, qui nous renvoient avant JC.

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