5 octobre — Quand on arrivait : la route derrière l'école


Le texte ci-dessous date des premiers jours de notre arrivée, alors qu'on habitait encore au lycée.



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5 octobre.


L’école a été comme encastrée dans la roche taillée net pour l’y loger, et sur le grand tertre qui la surmonte s’est établi un village de bergers : un regroupement d’immeubles de béton, une mosquée. Ils sont si proches que parviennent jusqu’à l’école les effluves des troupeaux de chèvres ou des étables.

Le premier jour, A. nous avait dit que c’étaient des bédouins sunnites sédentarisés, qui vivent à l’écart des autres habitants de la communauté de Habbouche, majoritairement chiite. Le jour où ils ont été bombardés, ils se sont réfugiés à l'école.


Pour rejoindre la route officielle, il faut descendre et remonter dans un vallon escarpé — que les chèvres traversent quotidiennement pour brouter une friche rocailleuse en contrebas, avant de remonter au moment de l’iftar (le repas qui suit la journée de jeûne pendant le ramadan) ; mais on peut aussi emprunter une petite route, tout juste derrière le parking des bus, qui longe le village sunnite jusqu’à la grand-route, en amont de l’accès à la route officielle.

C’est par cette petite route qu’A. nous conduit jusqu’à la Coop dans sa vieille Volvo. Il réagit à nos commentaires sur la beauté du couchant : “ici on dit que le Liban est un morceau du paradis”. Il ajoute qu’on n’en est pas sûr, parce que le paradis n’est sans doute pas aussi beau. Et qu’il faut acheter cette terre avec du sang.

La route serpente entre les rochers ; pas un arbre, et à l'approche de la grand-route, aux abords des immeubles, ici et là des signes à la peinture rouge, que nous n’aurions pas vus s’il ne nous les avait pas fait remarquer. Par exemple :
Chaque trace signalait une sous-munition avant qu’elle soit ramassée (si elle a été trouvée). Elle est désormais proscrite, cette friche tous les jours arrosée de couchant. Impossible de quitter les chemins balisés, dont j’imagine qu’ils deviendront dangereux avec les pluies. Des chèvres ont sauté. J’ignore s’il y a eu des victimes humaines, et me demande où et comment jouent les enfants des bédouins. C'est beau mais on ne peut pas y aller.

Devant la Coop où A. nous a menés, justement, un 4X4 porte le sigle à tête de mort d’une ONG s’occupant de déminage. Sur la route du retour (nous faisons la boucle et passons par le vallon), Véronique et moi lui parlons de la campagne de Handicap International qui essaie de faire interdire la fabrication de bombes à sous-munitions. Il ne connaît pas cette campagne, mais il sait que les mines les plus dangereuses, à double couche, sont de fabrication française.


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Plus tard, B., garde à l'école, nous montre des photos du van qu’il finit de transformer en ambulance avec des amis. Il dit que 28 ambulances ont été détruites à l’aveugle sous le motif qu’elles pouvaient cacher des missiles. Il nous explique les aménagements, les inscriptions en rouge et le logo sur la carrosserie : c’est un véhicule pour l’association des pompiers de son village. Il raconte qu’un habitant, la veille au soir, s’est fait gravement blesser par une sous-munition en bêchant son jardin, alors qu’on venait de nettoyer la zone. Après l’ambulance, B. voudrait essayer de récolter de l’argent pour transformer un autre véhicule en camion de pompiers : il n’y en aurait que deux pour toute le coin, et récemment encore un incendie n’a pas pu être éteint en moins de deux heures.


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Avant-hier, Véronique est allée à l’hôpital de Nabatiye pour la visite de préinscription de Côme à l’école, pendant que j’étais en stage à Beyrouth. Elle n’a finalement pas pu faire la visite parce qu’il y avait des accidents graves : un homme est arrivé en répandant du sang devant elle, et elle a immédiatement cru que la masse marron qu’il tenait contre lui était un enfant qui venait de sauter sur une mine ; mais A. lui a fait observer que l'homme avait perdu une main et que la masse était un pansement de papier. Elle a été très impressionnée et s’inquiétait que Côme ait pu l’être aussi, ce qui ne semble pas le cas. Une femme venait aussi d’avoir un accident de taxi.

En relisant je me rends compte à quel point notre perception des lieux est faussée : on cherche/imagine les mines partout, sans les voir précisément là où elles sont signalées. En cela nous ne faisons rien d'autre que vivre ce que tout le monde sans doute vit ici.

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