7 décembre — Une dépêche à la loupe, parmi tant d'autres


Ce soir Véro est sortie deux fois pour chercher à voir d'où venaient le discours et les bruits de foule. On reconnaît la voix désormais parce qu'on nous l'a signalée à plusieurs reprises : Nasrallah parle ce soir sans doute sur tous les postes de télévision du quartier ou presque, à 20h30. L'information, pour nous qui ne parlons pas arabe et n'écoutons pas la radio, circulait oralement : d'un seul coup, à la récréation, on entend dire que "ce soir on en saura plus parce que Nasrallah va faire un discours ", et ce n'est pas un "on-dit" mais une certitude. À cela on mesure autant l'efficacité du "téléphone arabe" (qui avait fait office d'agence immobilière quand nous cherchions à nous installer) que la profondeur du soutien populaire, puisque c'est apparemment ce moyen là qui fonctionne pour beaucoup. Chacun devient, qu'il soit admirateur, ennemi de ce monsieur ou simple indifférent, un vecteur de l'information, au nez et à la barbe des avions israéliens (officiellement en quête de renseignements)...


C'est aussi par le "téléphone arabe" qu'on sait déjà quels types d'actions politiques sont prévues après la manifestation de dimanche, mais
la dépêche AFP que je lis ce soir reste prudente : "L'opposition, qui n'a pas précisé la nature de ses actions futures"... J'ignorais détenir le secret de tactiques politiques du seul fait d'habiter au sud du Liban, et pourtant la dépêche me range implicitement dans "l'opposition". Ça me permet de constater que l'apparente objectivité d'une dépêche oblitère les choix politiques qu'elle opère — dans sa façon même de dire ou ne pas dire, ou plutôt : de dire qu'une information n'est pas communiquée... Suffit-il donc de ne pas habiter ici pour ne pas déjà le savoir ?

Pour la première fois je remarque un léger changement de vocabulaire, que je crois significatif : "Les manifestants menés par le puissant mouvement chiite pro-syrien Hezbollah, en sit-in depuis une semaine à Beyrouth pour faire chuter le gouvernement soutenu par les Occidentaux, se préparent jeudi à durcir leur mouvement". La nouveauté ce n'est pas, bien sûr, la mention désormais systématique "pro-syrien", mais celle qui concerne le gouvernement de Siniora déclaré "soutenu par les Occidentaux". Lesquels ? Pourquoi ? Quel est la portée de cette mention ? Le terme "anti-syrien" n'est plus autant mis en valeur qu'auparavant. La nouvelle ligne de fraction serait donc : "pro-syrien" contre pro-"Occidental" ? Ce n'est donc plus l'affaire entre libanais. Mais alors, qu'est-ce que c'est, "occidental" ? Qui est-ce ?

Une remarque entendue dans les premiers jours de notre arrivée. Un libanais s'étonnait de la remarque d'un autre nouvel arrivant : "quand on voit au Liban le soutien populaire pour Nasrallah, alors qu'est-ce que ça doit être, dans le monde, pour Ben Laden ?". Ça l'avait fait beaucoup rire, et il avait répondu que là où le premier est populaire, le second ne l'est pas.

Sans qu'on ait besoin de se prononcer sur la véracité de cette réplique, elle introduit le décalage qui permet de tempérer la fin de la dépêche : "Le quotidien français Le Monde fait état jeudi d'un "document confidentiel" révélant l'existence au Liban d'un "commando d'une cinquantaine de militants affiliés à Al-Qaïda" dont l'objectif serait d'assassiner, à l'instigation de Damas, 36 personnalités anti-syriennes. Ce document aurait été adressé au siège de l'ONU "par un haut fonctionnaire de l'organisation déployé dans la région".

Pourquoi est-ce qu'on garde cette information pour la fin ? Un complot d'une telle gravité ne mériterait-il pas une dépêche à lui tout seul ? Pourquoi autant de guillemets et de conditionnels ? Voilà qui révèle surtout le choix (ou la négligence) d'établir un lien Nasrallah - Syrie - Al Qaeda. Les trois noms dans la même dépêche... L'article du Monde en question est, lui, beaucoup plus prudent et précis quant au sources. Et on comprend encore mieux qu'une dépêche dit surtout ce qu'elle veut.

Pendant ce temps là, je suppose, s'il fait beau, on continuera sans doute de pêcher à Saïda (photo du
3 décembre).



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